Quel sens reste-t-il à notre travail dans dans une société où les décisions les plus importantes sont prises sous couvert de secret défense, dans une société à deux vitesses où les discriminations s’apprêtent à être institutionnalisées, dans une société où seule la doxa a droit de cité, dans une société où l’on fait comprendre aux enfants – notre futur – qu’ils sont une menace, dans une société du « chacun pour soi » ?
Nous vivons dans la peur d’un virus et de perdre notre emploi.
Désormais, nous risquons aussi de perdre les valeurs qui fondaient notre « vivre-ensemble » et d’ouvrir ainsi la boîte de Pandore.
Et pourtant, cela n’est pas une fatalité. Que ce soit dans la société ou sur notre lieu de travail, il suffit de dire « non » et de dire « oui ».
Non, nous ne voulons pas être étiquetés et divisés. Nous ne voulons pas que des collègues soient exclus.
Oui, nous voulons servir l’ensemble de la société, et nous voulons toutes et tous protéger nos aînés et nos enfants.
Nous n’avons simplement pas la même manière de le faire, car c’est normal que dans une société, il y ait des avis différents et qui évoluent. Nous sommes toutefois capables de tolérer nos différences, car nous sommes unis en tant qu’êtres humains.
Toute personne a de bonnes raisons de faire le choix A, B ou même C, en son âme et conscience. Tous les choix sont difficiles, étant donné les circonstances actuelles. Nous sommes collègues, amis ou parents. Nous avons été étiquetés en fonction de ce choix. Nous sommes maintenant en train d’être divisés, mais au fond de nous, le souhaitions-nous vraiment ?
Mon seul voeu pour l’année 2022 c’est qu’elle soit placée sous le signe de la réconciliation. S’unir du mieux que l’on peut, faire des choses ensemble, pour sortir de la peur, de l’impuissance, laisser libre cours à sa créativité, redonner du sens à notre travail et à notre vie, se refaire confiance les uns envers les autres, et reprendre confiance en nous-mêmes à travers l’action.
Cette confiance en nous, en tant qu’êtres humains et en tant que société, c’est peut-être aussi ce qui nous permettra de passer d’un modèle fondé sur l’argent-roi, la compétition et les bullshits jobs, à une société fondée sur le bien-vivre, la coopération et la créativité, qui permettra de régénérer la nature et de renforcer les liens.
A nous de décider si nous souhaitons le changement que l’on veut nous imposer d’en haut, dirigé vers une société de plus en plus atomisée, numérisée, uniformisée, surveillée, consommatrice, coupée de la nature et de notre nature, ou si nous souhaitons aller dans d’autres directions qui seront le fruit de nos choix individuels et collectifs.
La peur est salutaire pour nous faire prendre conscience d’un danger. Mais sur le long terme, elle mène à la paralyse et au repli sur soi. Est-ce ainsi que nous pourrons faire face à un virus, aux conséquences du changement climatique et de la dégradation sans précédent de la biodiversité, à la crise économique ? Est-ce ainsi que nous nous épanouirons en contribuant à la société ? La peur n’est vraisemblablement pas d’une grande aide pour cela. La coopération et la créativité, en revanche, oui.
Et si…
Et si on se disait qu’on pouvait le faire ?
Et si on reprenait nos vies en main ?
Ce texte, je l’ai écrit en décembre 2021. Il me semble déjà un peu trop optimiste, à moins qu’il ne soit déjà un peu dépassé.
Et si…
Et on avait commencé à se réveiller ?
Ou pas ! Je n’en ai aucune idée.
La société ne peut changer que si l’on change sur le plan individuel, même de manière minoritaire.
Et c’est un processus de long terme.
On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.
De toute façon, le positif n’existe pas sans le négatif.
Le désespoir et la joie sont liés.
Avec l’obsession de tout contrôler, nous avons eu tendance à l’oublier.
Je me demande comment les anciens nous regarderaient aujourd’hui. Et comment les générations futures nous regarderont, s’il reste encore des livres pour parler du passé.
Ces derniers temps, je me suis beaucoup interrogée sur ce qui se passe, l’effondrement de la biodiversité, de nos valeurs, peut-être bientôt de l’économie, le mensonge, la manipulation psychologique par l’alternance oppression / relâchement, le harcèlement qui mène à l’auto-destruction des victimes désignées, la peur, le paternalisme, mais aussi le besoin universellement partagé d’aimer et d’être aimé, la beauté et les mystères de la nature, la force du partage et de la créativité. En réfléchissant à la grande histoire et à mon histoire personnelle, j’ai écrit les trois petits textes publiés sur Domlong Barang ces derniers jours, et je me suis rendu compte que toutes les situations sont complexes et que chacun les vit différemment.
Ecrire m’a aussi permis de tourner une page, de faire le deuil du monde tel que je le connaissais. Certes, si l’on y réfléchit vraiment, nous n’avons jamais vraiment été en démocratie (vu le poids de l’argent dans le système notamment), mais nous avons désormais perdu l’état de droit. C’est une longue érosion qui s’est brusquement accélérée. Nous avons changé de paradigme. Alors qu’avant, malgré tous ses défauts, je me reconnaissais dans ce monde, aujourd’hui, on nous impose un autre cadre très différent dans lequel je ne me reconnais pas.
“Parce qu’il est enfermé, le prisonnier est, aux yeux de tous, un homme privé de liberté. Pourtant, si son corps est attaché, son esprit reste libre de créer et de s’évader hors des murs de sa prison. Mais sa pensée n’est-elle pas limitée par les interdits qu’il subit chaque jour ? S’il est libre de faire des projets, le prisonnier est, en effet, empêché de les réaliser. Il peut alors perdre espoir et se sentir enfermé dans un présent qui ne lui convient pas. Plutôt que de fuir la réalité par le rêve, peut-être doit-il accepter ce qui lui arrive, redevenir acteur de sa vie sans se sentir victime de la société. Et gagner ainsi le sentiment d’être libre. Comme nous tous, prisonniers de nous-mêmes, qui devons décider de notre vie à chaque instant.”
(extrait du livre de philosophie pour enfants La Liberté, c’est quoi ? d’Oscar Brenifier © Nathan)
Vous me direz que c’est très exagéré, nous ne sommes pas prisonniers. Ça se discute… Certains le sont plus que d’autres en fonction de ce qui est décidé pour les différentes catégories de la population. D’autres ne voient ne pas les barreaux de leur prison dorée. Certes, par rapport à un prisonnier à Fleury-Merogis ou à la Santé, nous avons plus de marge de manoeuvre, mais qu’en faisons-nous ? Ce qui m’interpelle surtout, c’est la conclusion d’Oscar Brenifier : ne sommes-nous pas d’abord prisonniers de nous-mêmes ? Prisonniers de notre confort, de notre routine, de nos peurs, du conformisme, de nos croyances ou de l’argent ?
C’est peut-être par là qu’il faut commencer. Sur nous-mêmes, on a une marge de manoeuvre.
Etant donné que les humains se réveillent souvent quand ils sont au pied du mur, plus tôt on se prendra le mur, plus tôt on se réveillera. Ce n’est pas une leçon que je souhaite donner aux autres, c’est plutôt une leçon que j’ai apprise moi-même, avec désespoir mais aussi avec joie, maintenant que je suis au pied du mur. Je n’irai pas jusqu’à remercier les conducteurs qui appuient sur la pédale d’accélérateur, mais ils nous aident à nous réveiller.
Pour bien commencer l’année, j’ai lu le livre très intéressant de Louis Fouché, Tous Résistants Dans l’Ame, que je vous conseille vivement ! J’ai suivi un stage de permaculture, qui m’a donné plein d’idées. Et j’ai créé un blog trilingue, Biblioterre, qui sera le prélude à des actions concrètes.
N’hésitez pas à y déambuler !
Pour rester fidèle à l’esprit de Domlong Barang, je vous offre une belle chanson !